Depuis l'armistice du 22 juin 1940, le massif du Vercors apparait une zone de salut pour tous ceux qui refusent l'autorité de l'occupant. Après l'envahissement de la zone libre (Novembre 1942) des hommes se regroupent pour bâtir un plan de défense à partir de la forteresse naturelle que le Vercors représente. le Vercors conserve, aujourd'hui encore, une place particulière dans l'histoire des maquis, une image douloureuse, symbolique à bien des égards et conflictuelle. Paul Dreyfus, journaliste et historien du Vercors qui fait autorité, explique les raisons de cette symbolisation du Vercors par ce qu'il appelle « les quatre secrets du maquis du Vercors : une belle idée, un formidable projet, un ardent espoir, une cruelle déception ».
Les faits
Tout d'abord, il convient de rappeler ce qui s'est passé au Vercors:
« Une belle idée »
Dès 1941, autour de militants socialistes SFIO, se constitue un petit comité dans les faubourgs de Grenoble, embryon spontané de Résistance qui, pour l'instant, ne parle pas du Vercors. Peu à peu, le comité prend de l'extension, noue des contacts. Ce n'est qu'à la fin 1942 qu'apparaît le premier maquis, organisé autour de la ferme d'Ambel, sous l'égide du mouvement Franc-Tireur. Il est rapidement alimenté par les réfractaires de plus en plus nombreux au STO. Ils sont 85 en février 1943. Très vite d'autres camps sont créés, il en existe huit en mai 1943. En 1941, avec son ami l'écrivain Jean Prévost qui deviendra le capitaine « Goderville » dans le maquis, observant de sa maison en bordure du Vercors, Pierre Dalloz, alpiniste, architecte urbaniste, a l'idée « stratégique » qui débouchera sur le plan "Montagnards". Parlant du Vercors, il écrit : « Il y a là une sorte d'île en terre ferme, deux cantons de prairies protégées de tous les côtés par une muraille de Chine. Les entrées en sont peu nombreuses, toutes taillées en plein roc. On pourrait les barrer, agir par surprise, lâcher sur le plateau des bataillons de parachutistes. Puis le Vercors éclaterait dans les arrières de l'ennemi ». En décembre 1942, motivé par l'invasion de la zone libre par les Allemands, il met par écrit les bases de son projet.
« Un formidable projet »
En janvier 1943, Yves Farge soumet ce projet à Jean Moulin qui est « emballé ». Dalloz reçoit alors mission du général Delestraint (chef de l'Armée Secrète, délégué militaire de Jean Moulin) de constituer une équipe pour étudier l'application du plan « Montagnards ». Pour cela, un premier comité militaire est créé en février avec le commandant Marcel Pourchier, ancien commandant de l'EMHM de Chamonix, le capitaine Alain Le Ray, autre montagnard, évadé d'Allemagne, Yves Farge, ancien journaliste au Progrès de Lyon, Rémy Bayle de Jessé, inspecteur des Eaux et Forêts, Pierre Dalloz et Aimé Pupin, le chef civil du maquis. Pourchier est chargé d'étudier l'aspect logistique du plan et Le Ray l'aspect opérationnel (il se fait aider par le lieutenant Roland Costa de Beauregard, ancien du 6ème BCA). En février également, le général Delestraint se rend à Londres et fait approuver le plan par le général De Gaulle. Un message de confirmation est passé par la BBC : « Les montagnards doivent continuer à gravir les cimes ». Jamais par la suite, les résistants du Vercors n'auront de raison de croire que ce plan est dépassé.
En avril 1943, le général Delestraint vient au Vercors, se fait présenter les travaux de Pourchier et Le Ray, visite les lieux et se montre encourageant. « Ainsi, s'accrédite peu à peu la certitude que le plan Montagnards est une affaire qui relève directement du chef de l'Armée secrète et qui est insérée dans les plans alliés. » (B. de Boisfleury).
Fin mai, Pourchier rencontre Pupin, le chef civil du maquis, et ils se mettent
d'accord pour organiser sous la responsabilité des militaires, l'encadrement et la
formation au combat des maquisards. Cet accord marque l'évolution vers une
convergence des deux initiatives du Vercors jusqu'à ce moment-là dissociées : celle,
d'une part, d'un maquis d'hébergement et de réfractaires et celle, d'autre part,
du projet géostratégique du plan Montagnards qui se surimpose à la première.
Ce projet d'un « maquis durable à vocation stratégique » se fera sans eux.
En effet, en juin 1943, une série d'arrestations va profondément perturber le
maquis naissant : en particulier, celles de Jean Moulin et du général Delestraint.
Le plan Montagnards perd ainsi ses plus importants soutiens.
« L'arrestation du général Delestraint fait disparaître la garantie donnée par
celui-ci. À l'évidence, s'il avait pu continuer son ouvre, ou bien cette logique
aurait été assurée, ou bien le plan aurait été abandonné. » (B. de Boisfleury).
Sur place, le maquis est décapité : Pupin est arrêté et le comité militaire décimé : Bayle de Jessé est arrêté, Pourchier, menacé, doit s'éloigner et s'orienter vers d'autres actions, Dalloz lui-même rejoindra Londres puis Alger où il deviendra « le pèlerin infatigable plaidant la cause du Vercors » (A. Le Ray) et Farge rejoint Paris. Le maquis se réorganise en conséquence : Chavant en devient le chef civil et Le Ray le chef militaire, avec la naissance d'un deuxième comité militaire.
« Un ardent espoir »
Pendant la période qui suit, le Vercors s'organise. L'objectif du Comité militaire, comme le dit Le Ray : « était de constituer une infrastructure permanente, susceptible de "soutenir" un effectif mobile de l'ordre du millier d'hommes, répartis en "trentaines". Ces trentaines devaient se recruter parmi les réfractaires devenus maquisards et dont il s'agissait de faire des combattants réguliers ; d'autre part, parmi les hommes des "communes", qui se constituaient en une sorte de "milice". »
Les civils se chargent plus spécialement de la sécurité du Vercors et du ravitaillement.
Le programme se met peu à peu en place, l'encadrement, active comme réserve, se
renforce et l'état d'esprit se transforme : d'une part, au "préjugé statique" se
substitue la notion de mobilité, et, d'autre part, les préventions entre civils et
militaires tombent progressivement grâce à une meilleure connaissance et
compréhension mutuelle.
Le territoire du Vercors est divisé en deux zones : nord (Costa de Beauregard) et
sud (Jeannest). Les camps deviennent de moins en moins sédentaires et les communes
se considèrent comme mobilisées en permanence.
Le maquis monte en puissance, intensifie son instruction pour le combat, exécute
quelques coups de mains et attentats à l'extérieur et résiste à quelques attaques
ciblées et incursions de la milice et des Allemands, car en septembre, l'occupation
allemande, plus rigoureuse, a remplacé l'occupation italienne.
Les premiers parachutages ont lieu en novembre 1943.
En fin d'année, le capitaine Le Ray quitte le Vercors : regrettable péripétie, à
la suite d'un malentendu le mettant en cause au sujet des parachutages.
Il démissionne (Il deviendra ultérieurement chef des FFI de l'Isère). Avec lui
disparait le dernier responsable ayant directement connaissance du plan Montagnards.
Sa succession comme chef militaire est confiée au capitaine Geyer, jusqu'à ce que
le commandant Huet, promu lieutenant-colonel, soit nommé fin mai 1944 commandant
militaire du Vercors. Geyer, déchargé de son commandement militaire par intérim,
se verra confier la responsabilité du sud du Vercors, la zone nord restant attribuée
à Costa de Beauregard.
À la fin de janvier 1944, les Allemands détruisent avec brutalité le maquis de
Malleval, constitué à la périphérie du Vercors à partir d'éléments du 6ème BCA.
C'est un avertissement sur ce qui pourrait se produire au Vercors.
Au mois de mars, c'est l'attaque du plateau des Glières par les Allemands
appuyés par des effectifs importants de la Milice et des GMR. À la suite de ces
événements, les responsables du Vercors décrètent « l'état de défense dispersée » :
abandon des camps, retour chez eux des maquisards qui peuvent le faire sans risque,
cessation des actions des corps francs et stockage des armes et munitions - mobilité
et profil bas en somme pour éviter les représailles !
Au printemps, arrivent des missions alliées, tant britanniques qu'américaines,
ce qui est considéré comme autant d'encouragements pour les résistants.
À la fin de mai 1944, Chavant décide de se rendre à Alger, pour faire confirmer
la mission du Vercors. En effet, plus personne ne parle du plan Montagnards. Il en
revient porteur de la confirmation signée par Soustelle, Directeur des Services
Spéciaux : « Les directives données en février 1943 par le général [Delestraint]
pour l'organisation du Vercors demeurent valables. Leur exécution sera poursuivie
dans le cadre de la hiérarchie régionale et départementale, sous le contrôle
du DMR 1 [Délégué Militaire de la Région 1, en l'occurrence le colonel Descour], en
liaison avec la mission maquis envoyée de Londres, d'autre part avec la base d'Alger ».
Voici ce que pense Dalloz de cette « décision » : « On aurait pu comprendre que les états-majors français et alliés eussent écarté le projet Montagnards comme un projet local sans proportion avec la dimension mondiale de la guerre. Mais ce fut inconscience de promettre à Chavant, au sein d'un organisme interallié, l'envoi de quatre mille parachutistes, en engageant par cela même, à leur insu, les chefs alliés. Mais ce fut inconscience encore plus grave d'envoyer au chef local, le colonel Descour, une décision du général De Gaulle, ordonnant la mise en ouvre des directives du général [Delestraint], autrement dit la mise en application du projet Montagnards, que personne du coté français n'avait étudié, que personne n'avait jamais porté à la connaissance des Alliés. Or les Alliés disposaient seuls des indispensables moyens de parachutage, armes lourdes, troupes aéroportées, avions. »
Le 5 juin 1944, les messages codés diffusés par la radio de Londres donnent le signal de l'insurrection des maquis de toute la France. Le message : « Le chamois des Alpes bondit » concerne l'Isère. Le calcul risqué des Alliés de déclencher si tôt les activités des maquis va avoir des conséquences tragiques pour le Vercors. Le général Koenig, chef des FFI, aura beau, quelques jours après, essayer de freiner l'enthousiasme en prêchant la prudence et l'adaptation à la situation locale, d'un bout à l'autre du Vercors, les hommes affluent pour rejoindre le maquis. Ce sont plus de 2.000 hommes qu'il faut armer.
« Une cruelle déception »
Huet installe son PC à Saint Martin-en-Vercors début juin, à proximité de
Chavant. Il noue avec celui-ci des liens de confiance, d'estime et de respect
mutuel, alors que tout aurait pu opposer ces deux hommes de caractère
qui n'avaient pas a priori de grandes affinités, ni socialement, ni
politiquement. Ce meneur d'hommes s'impose très rapidement, en raison de sa
forte personnalité, mais aussi de sa très grande pondération et de sa parfaite
maitrise de soi. Son chef d'état-major est le capitaine Tanant, ancien du 6ème
BCA, grièvement blessé à Narvik.
Le colonel Descour, délégué militaire de la région FFI R1, rejoint le Vercors
le 8 juin, et s'installe non loin de là.
Huet décrète la mobilisation générale, tout en se demandant si ce n'est pas prématuré.
Le 13 juin, les Allemands s'attaquent à Saint-Nizier. Ils se heurtent à leur grande surprise à une résistance acharnée et renoncent le jour même. Mais, le 15, ils reviennent en force avec l'appui de l'artillerie et s'emparent de la localité. Ils n'exploitent pas leur avantage, mais ils tiennent désormais une des portes d'accès du plateau.
La période qui suit, jusqu'au 20 juillet a été appelée la « République du Vercors » . Le plateau est désormais isolé et il y règne une fausse ambiance de sécurité. Les proclamations, les manifestations et prises d'armes se multiplient. Une structure « républicaine » se met en place, avec le retour d'Yves Farges, commissaire de la République désigné de la région Rhône-Alpes.
Les parachutages s'intensifient, au su et au vu des Allemands, mais on ne
voit toujours pas arriver des armes lourdes qui seraient nécessaires si on
voulait faire du Vercors un réduit prêt à recevoir des troupes aéroportées.
Les Allemands, pendant se temps là, observent, font des reconnaissances,
tâtent les défenses, mitraillent et bombardent les terrains après les parachutages.
Le 12 juillet, Huet décide de reconstituer les unités traditionnelles locales
pour stimuler l'esprit de corps : les 6ème, 12ème et 14ème BCA, un groupe
d'escadrons du 11ème RC et une unité des 4ème RG et 2ème RA sont ainsi recréés.