Le drame du
Vercors - 1


ientôt une centaine de corps jonchent la cuvette de Vassieux. Parmi eux, de nombreux civils que les S.S. ont froidement massacrés. Le capitaine Tournissa, qui se réjouissait de voir « son » aérodrome presque achevé, est blessé. Il réussit à se dissimuler sous des branchages, dans un ancien puits, où il s'extirpera, en rampant, à la nuit tombée.

Dès le début de l'attaque, le colonel François Huet, dit « Hervieux », commandant militaire du Vercors, a rameuté toutes les unités dont il pouvait disposer. Il les a disposées autour de Vassieux et il a lancé une contre-attaque. Mais les S.S., retranchés dans les maisons du village, clouent au sol les maquisards chaque fois qu'ils tentent de sortir des couverts. Si courageux qu'ils soient, nos hommes, à quelques exceptions près, ne sont pas de taille à se mesurer avec ces vétérans de toutes les batailles qui viennent de tomber du ciel.

Huet, un cavalier fougueux, au regard clair, aux ordres précis, aux réactions promptes, est assurément un meneur d'hommes. Il jouit de la confiance de tous. Il a su faire l'unité des éléments disparates qui constituent la garnison du Vercors assiégé - l'« amalgame », comme dira de Lattre un jour tout proche, en parlant de la lère armée.

Parachutage Mais, pour importants que soient, apparemment, les effectifs dont dispose Huet, ils ne lui permettent pas de défendre tous les accès du Vercors. Ce grand massif, le plus vaste des Préalpes calcaires, mesure quarante-cinq kilomètres du nord au sud, sur une vingtaine d'est en ouest

Certes, le Vercors est, selon l'expression de Pierre Dalloz, l'homme qui a imaginé le rôle stratégique que pourrait jouer ce massif, un « formidable donjon naturel », une « sorte d'île en terre ferme », protégée de tous côtés par « une muraille de Chine ». Cette « muraille » a un périmètre de plus de cent vingt kilomètres. Les entrées en sont peu nombreuses, toutes taillées en plein roc.

Les gorges de la Bourne et les Grands-Goulets en sont les passages les plus connus. Ailleurs, les routes d'accès s'accrochent à des parois vertigineuses, comme à Combe-Laval, ou se hissent, par d'innombrables lacets, jusqu'à des cols faciles à boucler, comme celui de Rousset. Enfin, sur une grande partie du « chemin de ronde », on ne peut prendre pied qu'en empruntant des sentiers muletiers, voire en escaladant des parois verticales.

Mais cette citadelle bâtie par la nature présente un grave défaut. La porte d'entrée ne peut pas être fermée. Et c'est une porte cochère : la trouée de Saint-Nizier, au-dessus de Grenoble.

C'est là que les Allemands ont attaqué, une première fois, le 13 juin au matin. Sur le moment, tout le monde a cru que c'était la grande offensive ; en réalité, il s'agissait simplement d'une reconnaissance en force, où l'ennemi n'a pas engagé plus d'un bataillon.

Que cherchait-il exactement ? Sans doute à tâter les défenses du maquis, à juger de l'armement des résistants, du mordant de la troupe, de l'état d'entraînement des recrues.

Car il s'est passé, au lendemain du débarquement en Normandie, un événement qui a préoccupé le commandement allemand à Grenoble : une véritable mobilisation a brusquement gonflé les effectifs du maquis du Vercors. Un ordre lancé de Londres, par radio, dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 a précipité vers le plateau toute une jeunesse ardente, inexpérimentée et presque totalement démunie d'armes de guerre.

Cet ordre était un simple message personnel, parmi beaucoup d'autres, cette nuit-là : « Le chamois des Alpes bondit. » Quelques jours plus tard, il a été rapporté. Mais il était trop tard : le Vercors était mobilisé. Il n'était plus possible de renvoyer dans leurs foyers le gros de la garnison. Elle s'employa donc à mettre la citadelle en état de défense.

Le premier combat du 13 juin avait donné cependant confiance aux maquisards et à leurs chefs. Ils estimaient avoir infligé une correction aux Allemands. Ils ne doutaient pas qu'ils leur feraient subir, le moment venu, une cuisante défaite.

Toutes les chances leur paraissaient réunies dans leur camp : repliés sur des lignes de défenses plus courtes, les combattants sans uniforme occupaient des positions qui se prêtaient mieux à la défensive - exception faite de Villard-de-Lans, où il y avait trop de maisons d'enfants pour que le bourg ne fût pas déclaré ville ouverte. Les Alliés avaient débarqué en Normandie et tout le monde pensait que leurs divisions ne tarderaient pas à déboucher de la tête de pont ; le débarquement Sud paraissait imminent et personne ne pouvait imaginer que, faute de péniches d'assaut en nombre suffisant, il serait retardé jusqu'au 15 août; des armes et des munitions avaient été promises par Londres puis par Alger et qui pouvait douter qu'elles allaient être bientôt parachutées ?

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