Le drame du
Vercors - 4


ue disait-il, ce plan « Montagnards » ? Que le Vercors pourrait jouer un rôle important par sa situation géographique. Il s'agirait, a écrit Pierre Dalloz, non de braver un ennemi en possession de ses moyens, mais, en intervenant, d'aggraver son désordre. Il s'agirait non de s'incruster dans le Vercors, mais d'y prendre pied par surprise, afin d'en sortir et d'attaquer. Il s'agirait non de « tenir » , mais de pousser dans tous les sens.

Le Ray, l'auteur de la partie proprement militaire de l'étude, a été formel : attaqué par des forces ennemies, le Vercors pourra tenir cinq ou six jours tout au plus. Mais, en cas de débarquement allié, le Vercors peut devenir une base essentielle pour les troupes aéroportées alliées.

D'où l'idée de préparer une piste d'atterrissage à Vassieux. D'où la nécessité d'y amener rapidement des unités régulières, puissamment armées, capables d'assener des coups de boutoir sur les lignes de communication d'un ennemi en retraite ou retenu à proximité des plages de débarquement. Telle était la grande idée stratégique.

Malheureusement, deux des hommes qui l'ont approuvée avec le plus d'enthousiasme et qui étaient les plus capables de la traduire en actes ont disparu. Le 9 juin 1943, le général Delestraint a été arrêté à Paris et déporté à Dachau, où il sera abattu peu avant la libération du camp. Le 21 juin de la même année, Jean Moulin a été capturé à Caluire, dans la banlieue de Lyon, et il est mort, peu après, à la suite d'atroces tortures.

Vue aérienne du massif du Vercors

Le Ray, premier commandant militaire du Vercors, en a été éloigné, à la suite d'une discussion avec son supérieur hiérarchique. Quant à Pierre Dalloz, qui a réussi à gagner Londres, il a tenté de savoir ce qu'était devenu le fameux plan. Il a découvert qu'il était resté dans un carton, dans les archives d'un des services secrets de la France Libre. A-t-il été transmis aux Alliés ? A-t-il même été examiné par les stratèges? C'est fort peu probable.

Sur place, dans le Vercors, on sait qu'il y a un plan. Mais ni Huet ni Chavant ne l'ont jamais vu... Ils voudraient bien savoir tout de même ce que comptent faire les Alliés.
C'est la raison pour laquelle, au printemps 1944, Chavant a décidé d'aller lui-même aux nouvelles à Alger. Il y a rencontré des officiers français, anglais et américains appartenant aux services spéciaux. Il leur a réclamé deux mille cinq cents parachutistes. On lui en a proposé quatre mille.

Il est rentré en France quelques jours avant le débarquement en Normandie, revigoré par son voyage au-delà de la Méditerranée. Comment pourrait-il en être autrement ? Non seulement les officiers du grand état-major allié lui ont formellement promis toute l'aide qu'il souhaitait, mais il a dans sa poche un ordre de mission signé de Jacques Soustelle, au nom du général de Gaulle. Ce texte, qui porte le numéro 774 S.G.C., précise :

est à tout cela que songe Huet, en cette journée du 21 juillet, au fur et à mesure que lui parviennent des différents chefs d'unité des nouvelles peu encourageantes. Pourtant la partie n'est pas perdue. Les renforts promis vont arriver. Cette nuit peut-être...

Mais la journée s'écoule sans qu'Alger annonce de parachutage. Huet comprend que les digues vont être rompues et l'île de liberté complètement submergée. Alors, dans la soirée, il convoque à son P.C. un véritable conseil de guerre. Il est plus de 22 heures quand il prend la parole.

- Je vous ai réunis, dit-il, pour vous mettre au courant de la situation. Depuis ce matin, nos hommes se battent contre un ennemi dix fois supérieur en nombre et en armement. Malgré leur courage, ils plient partout. Il faut voir les choses comme elles sont : sauf miracle, nos lignes vont être enfoncées ; dès demain ou après-demain, il nous sera impossible d'opposer aux Allemands une résistance cohérente. Nous n'avons plus qu'une solution ; nous disperser. Nous nous diviserons en petits groupes et nous nomadiserons. Nous mourrons peut-être, mais les armes à la main...

Huet a fait cette déclaration de sa voix claire au débit précipité. Un silence pesant tombe sur l'assemblée. Soudain Bousquet, qui commande la symbolique artillerie du Vercors explose :
- Vous ne trouvez pas qu'on a fait assez de c.. comme cela ? Nous avons voulu constituer des états-majors. Nous nous sommes organisés comme une division. C'était une bêtise. Je l'ai toujours dit. N'allons pas maintenant commettre d'autres erreurs. Il n'y a plus qu'une seule solution : évacuer le Vercors.

Plusieurs des assistants approuvent cette idée. Ils souhaiteraient, disent-ils, qu'on tente de vider le massif comme une coquille d'oeuf. Mais d'autres veulent se battre, sur place, jusqu'au bout.

Les Henckell 111, à croix gammée, bombardent le maquis

- De toute façon, tranche Huet, répondant à Bousquet, votre proposition est irréalisable. C'est trop tard. Le Vercors est entièrement investi. Vous ne passerez pas.

Finalement, la majorité accepte la solution de Huet : se disperser et nomadiser.

Mais, le lendemain 22 juillet, les lignes françaises n'ont pas encore cédé. La journée s'écoule lentement, coupée d'escarmouches dans les sous-bois. C'est seulement le 23 que les Allemands attaquent. Chabal se défend farouchement. Sur le point d'être submergé, il déchire une page de son carnet et griffonne ce mot à l'adresse de Jean Prévost :
e suis presque complètement encerclé. Nous nous apprêtons à faire Sidi-Brahim. Vive la France !

Quelques instants plus tard, il s'écroule, frappé d'une balle en pleine tête. Privé de leur chef les chasseurs du 6e B.C.A., qui se sont accrochés à cette position, commencent à faire retraite. Il est 15 heures.

Une heure plus tard, les dernières défenses du Vercors sont percées. Huet, la rage au coeur, envoie aux différentes unités l'ordre de dispersion, dont le principe a été adopté dans la nuit du 21. Avant de quitter lui-même son P.C. de Saint-Martin, il fait adresser à Alger, par radio, le message suivant :
Défenses Vercors percées le 23 à 16 heures, après lutte de cinquante-six heures. Ai ordonné dispersion par petits groupes en vue de reprendre lutte si possibilités. Tous ont fait courageusement leur devoir dans une lutte désespérée et portent la tristesse d'avoir dû céder sous nombre et d'avoir été abandonnés seuls au moment du combat.

Ce message, qui annonce la fin de toute résistance organisée dans le Vercors, exprime, en des termes soigneusement pesés, la colère et le désespoir des combattants du Vercors.

Chavant, lui, n'a pas attendu ce moment pour crier son indignation. Dans la nuit du 21 au 22, il a adressé à Alger, en plein accord avec Huet, ce télégramme pathétique :
La Chapelle, Vassieux, Saint-Martin bombardés par l'aviation allemande. Troupes ennemies parachutées sur Vassieux. Demandons bombardement immédiat. Avions promis de tenir trois semaines; temps écoulé depuis la mise en place de notre organisation : six semaines. Demandons ravitaillement en hommes, vivres et matériel. Moral de la population excellent, mais se retournera rapidement contre vous si vous ne prenez pas dispositions immédiates et nous serons d'accord avec eux pour dire que ceux qui sont à Londres et à Alger n'ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des criminels et des lâches. Nous disons bien : criminels et lâches.

Quand ce télégramme est déchiffré à Alger, dans les premières heures du 22 juillet, il y produit l'effet d'une bombe.

Immédiatement, le télégramme est porté à la connaissance de Jacques Soustelle, directeur général de cet organisme. Une copie est-elle communiquée au général de Gaulle ? Cela est probable, sans être sûr. A 12 h 15, Soustelle téléphone au général Cochet : - Il faut envoyer d'urgence des commandos dans le Vercors.

À son titre de directeur des services spéciaux, Soustelle joint celui de secrétaire général du comité d'action en France - le C.A.F., ou encore le C.O.M.I.D.A.C. - organe de commandement, spécialement chargé des F.F.I. Mais il y a aussi, au ministère de la Défense nationale, un bureau F.F.I. qui conteste la décision du C.O.M.I.D.A.C. et la nuit tombe sans que cette mesure ait pu être étudiée sérieusement.

Or cette nuit-là est la deuxième depuis le commencement de l'offensive allemande contre le Vercors. Les parachutistes de Vassieux ont reçu des renforts par voie aérienne. Les Gebirgsjàger se préparent à attaquer Valchevrière. Chaque heure, chaque minute compte.

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